Je vous invite à lire cette tribune que je soutiens, parue dans Le Monde ce mercredi 25 novembre 2020, « Le gouvernement doit rendre disponibles, en ligne, l’ensemble des “cahiers citoyens” en open source »
TRIBUNE, Collectif
Il y a deux ans, autant dire un siècle à l’aune de la pandémie de Covid-19, des citoyennes et des citoyens de tous âges, de tous horizons, occupaient les ronds-points de France, déclenchant dans notre pays un mouvement social sans précédent. Ils exprimaient alors le besoin de se retrouver, de s’unir, pour partager leurs revendications, leurs peurs, leurs rêves, leurs colères aussi. De ce mouvement social est né un exercice de démocratie inédit.
Après deux mois de crise sociale, le président de la République Emmanuel Macron, dans une lettre en date du 13 janvier 2019, invitait tous les Français « à transformer les colères en solutions». S’engageait ainsi le grand débat national. Selon ses concepteurs, il s’agissait de «permettre à toutes et à tous de débattre de questions essentielles pour les Français ». Ces derniers répondront alors massivement à l’invitation qui leur est faite : ils seront plus de 500 000 à se rendre aux réunions d’initiative locale et ils consigneront leurs doléances dans quelque 16 000 « cahiers citoyens ».
Deux mois durant, on assiste à une moisson d’idées et de propositions. Il y a d’abord des réponses aux questions posées et aux thématiques orientées par le gouvernement. Mais l’essentiel est ailleurs
et les Français sortent rapidement du cadre imposé. Ils reprennent leur liberté à l’occasion de milliers de débats dans plus de 16 000 maisons du peuple et disent clairement ce qui leur tient à cœur. Cette masse d’informations (630 000 pages !) constitue un véritable trésor national.
Bien que locales, ces doléances n’en portent pas moins, dans leur majorité, sur des sujets qui intéressent toute la nation. Le pouvoir d’achat, la transition écologique, la fatigue démocratique arrivent en tête, preuve s’il en est que nos compatriotes ont parfaitement saisi les enjeux de ce siècle.
Une cartographie inédite
Un demi-million de citoyens ont participé au grand débat national lancé par le chef de l’État après la crise des « gilets jaunes », remplissant quelque 630 000 pages de doléances. Cette cartographie inédite de la France depuis 1789 doit être numérisée afin de pouvoir être consultée, demande un collectif citoyen dans une tribune pour « Le Monde ».
La forme mérite aussi qu’on s’y arrête, car elle en dit souvent autant que le fond : appels vibrants à penser aux générations suivantes (« c’est pour l’avenir de mes enfants et petits-enfants que je vous transmets ces doléances ») ; témoignage poignant d’une retraitée qui a fait l’effort de travailler deux années de plus « pour gagner 40 euros mensuels de plus » (le tout rayé d’un trait de plume par l’augmentation de la CSG) ; présentation technique et documentée d’une nouvelle TVA sociale (fonction de l’intérêt sanitaire et écologique des produits) ; parcours de vies exemplaires (« sans que nous en tirions gloire »).
Bref, on l’aura compris, il s’agit d’une cartographie inédite de l’état du pays, du jamais vu depuis 1789 et les doléances révolutionnaires.
Deux engagements avaient été pris par le président de la République.
Le premier : restituer aux Français ce trésor national, en procédant à la numérisation de l’ensemble des contributions, y compris les « cahiers citoyens », a »n d’en permettre la consultation et l’appropriation la plus large possible. Cet engagement a été soit oublié, soit ignoré, soit balayé d’un revers de main.
A l’exception des doléances des arrondissements de la capitale, mises en ligne directement par la Mairie de Paris, ne sont accessibles aujourd’hui au public en ligne que les synthèses rédigées par trois cabinets de conseil, ne tenant compte pour l’essentiel que des contributions répondant aux questions posées au détriment des contributions libres. En théorie, il est possible de les consulter dans les centres d’archives départementales, mais leur accès est aujourd’hui suspendu pour cause de pandémie et il est soumis à de nombreuses conditions.
L’association «Rendez les doléances !»
Second engagement : le gouvernement avait promis de donner les moyens à la communauté scientifique de procéder à une analyse approfondie de ces milliers de documents. L’Agence nationale de la recherche (ANR) lançait ainsi, en février 2019, un appel à manifestation d’intérêt : une cinquantaine d’équipes de chercheurs y ont alors répondu. Toutefois, là encore, les intentions ne se sont pas traduites en actes : l’appel définitif n’a jamais été publié, et les équipes constituées sont toujours dans l’attente de « lancements.
Aujourd’hui, pour toutes ces raisons, un collectif citoyen, soutenu par «Notre affaire à tous», a créé l’association «Rendez les doléances !» Ensemble, nous demandons au gouvernement de tenir ses engagements et de rendre disponibles, en ligne, l’ensemble des « cahiers citoyens » en open source sur une plate-forme unique.
Nous avons constitué un comité scientifique de chercheurs au sein de l’association et nous nous engageons à traiter, analyser et restituer aux Français ce qu’ils ont dit de leur pays, de leur situation, de leurs problèmes, des institutions, des grands défis auxquels nous sommes collectivement et individuellement confrontés. Avec les éditions JC Lattès, nous publierons fin 2021 une anthologie commentée de ces textes, et les droits seront reversés à Emmaüs.
Dans ce qui semble devoir être aujourd’hui un combat, nous voulons aider à réhabiliter la parole de chacun, à convaincre le gouvernement d’honorer ses engagements et permettre ainsi à toutes et à tous de prendre connaissance de ce trésor national qui nous appartient.
Les signataires : Adrienne Brotons, membre de la Fondation Jean-Jaurès ; Christel Cournil, professeure de droit à Sciences Po Toulouse et membre du conseil d’administration de «Notre affaire à tous» ; Didier Le Bret, ancien ambassadeur, administrateur d’Action contre la faim, consultant ; Dorian Dreuil, auteur du livre « Plaidoyer pour l’engagement citoyen. Le regard d’un humanitaire » (VA Press, 2019) ; Fabrice Dalongeville, président de l’Association des maires ruraux de l’Oise, maire d’Auger-Saint-Vincent ; Jean Karinthi, fondateur de l’Hermitage, tiers-lieu d’innovation rurale ; Lila Durix, ancienne humanitaire et responsable RSE ; Paul Melun, essayiste et consultant ; Pauline Véron, avocate, ancienne adjointe à la maire de Paris chargée de la démocratie locale et de la participation citoyenne ; Thomas Ribémont, ancien président d’Action contre la faim.
Liste intégrale des signataires ICI